Dans les coulisses de la recherche socio-écologique

Nous avons fait le choix d’explorer, d’observer, d’analyser, de collecter, dans les interstices et les zones de frottement, pour ouvrir la boîte noire de la décision environnementale, en particulier dans le domaine marin et maritime. Nous enquêtons là où l’on ne veut pas voir ou montrer, là où l’on connaît mal et où l’on a besoin de données, pour prendre des décisions éclairées et générer une action efficace en faveur de la transformation socio-écologique vers la soutenabilité. Autrement dit, nous appréhendons des terrains difficiles, en priorité pour ceux qui y vivent, humains et non humains, mais aussi pour les chercheurs qui y travaillent (éloignement, dissociation cognitive par rapport à la nécessité de réduire l’impact carbone de la recherche, risques environnementaux, climatiques et sécuritaires).

À partir de cette mise à nue, de ce dévoilement, le moteur de notre action structurée autour de la compréhension croisée des mécanismes biophysiques, écologiques et sociaux politiques, est l’analyse et l’accompagnement du politique, avec l’ambition de contribuer à renouer nature et culture là où ces deux catégories d’intervention publique sont dissociées. La recherche menée dans le cadre de l’observatoire Apolimer vise à procéder à un refroidissement théorique de ces notions et à étudier empiriquement leur développement et leur utilisation dans les sociétés pour mieux comprendre leurs enjeux socio-politiques en tenant comptes des réalités écologiques, biophysiques, symboliques et socio-politiques. L’une des spécificités d’APOLIMER est d’étudier les relations de pouvoir qui façonnent le fonctionnement des systèmes de gouvernance des SES et de redonner toute sa place au symbolique et à l’éthique.

Pour pratiquer une recherche socio-écologique de terrain effective et efficace, pour faire passer la catégorie de gouvernance des socio-écosystèmes d’une catégorie théorique, analytique et normative à une catégorie pratique, il nous faut associer de nombreuses compétences disciplinaires. C’est la raison pour laquelle l’IRN APOLIMER – Chercheurs sans frontières – évolue dans le temps et l’espace comme un réseau fluide, ouvert à l’arrivée de nouvelles compétences et attentif aux nouveaux besoins et sollicitations diverses, mais toujours sur le temps long, très ancré dans les terrains de recherche et d’action. Nous appréhendons des terrains difficiles, en priorité pour ceux qui y vivent, humains et non humains, mais aussi pour les chercheurs qui y travaillent (éloignement, dissociation cognitive par rapport à la nécessité de réduire l’impact carbone de la recherche, risques environnementaux, climatiques et sécuritaires).

Le concept de gouvernance des socio-écosystèmes, fondamentalement basé sur la reconnaissance implicite de la solidarité écologique, sans pour autant le formuler ainsi, nous semble avoir la capacité de rendre ce principe opérationnel. Cela nécessite une introspection anthropologique et une analyse combinée en science politique pour mettre au jour les conditions de possibilité et d’impossibilité du transfert de cette catégorie de la science à l’action publique. C’est tout l’enjeu d’Apolimer que de présenter les cadres d’une démarche réflexive et opérationnelle sur ces catégories dont l’institutionnalisation est freinée par trois types d’asymétrie, étroitement imbriquées: la connaissance, l’implémentation et le pouvoir. Elles sont ainsi positionnées au cœur de la méthodologie intégrative COSMOS.

Méthode COSMOS – Complex system modeling for sustainability – resituée dans l’histoire des sciences avec focus sur l’impact sociétal de cette approche de la gouvernance et de la gestion des socio-écosystèmes par l’analyse des asymétries de pouvoir (power gap) qui permettent d’expliquer les trajectoires insoutenables. Conception schéma C. Mazé et O. Ragueneau – Graphisme S. de La Villefromoit (2015). Publié dans VertigO.

Lire la publication : La solidarité écologique de la science à l’(in)action publique, de Camille MAZÉ et Olivier RAGUENEAU

Méthodologie Cosmos©

étape par étape

Notre méthode d’enquête et d’analyse est structurée en trois étapes où l’on combine les outils des sciences humaines et sociales, des sciences de la nature et des sciences informatiques et mathématiques.

1 La première étape consiste à réaliser des entretiens et des observations ethnographiques du processus de gouvernance des territoires en analysant les effets en matière de gestion environnementale, pour vérifier si la catégorie de gouvernance des socio-écosystèmes existe concrètement, dans la réalité du territoire.

2 Nous analysons ici la prise en compte des interactions, des interdépendances et de la complexité identifiées par les sciences de la vie et de la terre en recoupant ces informations avec les instruments de politiques publiques déployés en regard des principes juridiques et éthiques comme levier de mise en œuvre d’une gouvernance socio-écologique à l’échelle des territoires.

3 De là, ensemble, nous développons grâce à la modélisation dynamique et intégrée de la gouvernance des socio-écosystèmes pour mieux les comprendre et en appréhender la robustesse, un démonstrateur de durabilité ou d’insoutenabilité des trajectoires modélisant les effets des choix de gestion environnementale et du système de gouvernance lui-même sur le fonctionnement et l’évolution du socio-écosystème

4 Nous confrontons les descripteurs de la complexité en science avec la construction des indicateurs pris en compte dans les politiques publiques pour orienter les trajectoires de soutenabilité et fonder les décisions en matière de gestion des territoires et des ressources naturelles.

Adaptation transformative
Transformative adaptation
Cadre conceptuel des socio-écosystèmes
Social-ecological system framework
Développement durable
Sustainable development
Durabilité ou soutenabilité selon le contexte et l’auteur
Sustainability
Écologie politique
Political ecology
Économie écologique
Ecological economies
Études de la résilience
Resilience studies
Études de la résilience
Resilience studies
Évalutation des écosystèmes
Ecosystem assessment
Gestion adaptative
Adaptative management
Gestion transformative
Transformative management
Gouvernance adaptative
Adaptative governance
Objectifs développement durable (ODD)
Sustainable development goals
Recherche transformative ou transformationnelle
Transformative research
Science de la durabilité
Sustainability science
Services écosystémiques
Ecosystem services
Site d’observation écologique à long terme
Long-term ecological research site
Site d’observation socio-écologique à long terme
Long-term social-ecological research site
Trajectoires d’adaptation
Adaptation pathways
Transformation vers la durabilité
Transformation to sustainability ou sustainability transformation

Pour les géologues, nous vivons actuellement dans l'époque Holocène de notre planète, depuis environ 12.000 ans. Mais depuis la fin du XXème siècle, des scientifiques estiment que l'influence largement néfaste de l'homme sur son environnement, nous a fait entrer dans une autre époque, l'Anthropocène. En 2002, Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, était le premier à proposer d'acter la fin de l'Holocène et le début de l'Anthropocène. Pour lui, l'enjeu était quasi vital : il permettrait de focaliser l'humanité sur les défis futurs, de lui faire prendre conscience de la gravité de la situation, et de "changer de paradigme dans la pensée scientifique". Depuis, l’Anthropocène est au cœur d’une controverse entre les pro et les contre. Un groupe de travail nommé par la Commission internationale de stratigraphie (ICS) a rendu en mai 2024 ses conclusions qui n’actent pas l’époque de l’anthropocène. Cette prise de position a constitué une trahison pour de nombreux scientifiques de la terre qui estiment que les traces de l'activité humaine (des microplastiques aux polluants chimiques éternels, en passant par l'émission massive de gaz à effet de serre) sont désormais tellement omniprésentes qu'elles ont rompu les équilibres naturels du globe. Ils dénoncent la dangerosité du point de vue politique de ne pas reconnaître la légitimité scientifique de ce concept, confortant ainsi les tenants de l’inaction et de l’inertie dans la transformation vers la soutenabilité.

Le concept de zone critique a été proposé en 2001 par le National Research Council aux Etats-Unis pour désigner la zone, imparfaitement définie, « entre le ciel et les roches », où interagissent l’eau, les gaz, les minéraux pour donner naissance au sol, aux eaux, aux êtres vivants qui la peuplent. Depuis son développement aux Etats-Unis, la science de la zone critique se répand dans le monde et se manifeste par le développement de programmes et d’infrastructures de recherche qui prennent la forme d’observatoires, sortes de plateformes pluridisciplinaires autour d’un objectif scientifique commun d’observation instrumentée à des fins de compréhension des mécanismes, des cycles et des dynamiques qui permettent le développement du vivant. De l’hyperspécialisation historique, la science de la zone critique tend vers une approche holistique de surface de la Terre et des processus qui l’animent. Cette évolution va vers une intégration de plus en plus marquée pour pouvoir saisir la complexité des systèmes et leurs articulations, l’impact des changements et proposer des solutions pour maintenir l’habitabilité dans la zone critique.

Le cadre des systèmes socio-écologiques (SES) est un cadre analytique qui a été proposé pour représenter les relations entre la nature et les humains. Dans la perspective des SES, les sociétés humaines et leur environnement sont représentés comme des systèmes imbriqués. Par conséquent, une caractéristique particulièrement importante de ce cadre est de rendre possible la représentation des interdépendances socio-écologiques en tant que liens relationnels entre les composants humains et non-humains du système. Le concept de socio-écosystème est apparu dans la littérature scientifique à la fin des années 1990 pour caractériser l’idée de systèmes complexes résultant des interactions constantes entre dynamiques naturelles et dynamiques sociétales. Tout système socio-écologique se compose d’une unité bio-géo-physique et de ses acteurs sociaux et institutions associés. Les systèmes socio-écologiques sont complexes et adaptatifs,délimités par des frontières spatiales ou fonctionnelles. Ce concept scientifique met en avant le fait que les humains sont éminemment liés entre eux et sont une partie intégrante de leur environnement de vie, « la nature »,  un concept hautement problématique. Nombre de penseurs alertent pour dire que la nature n’existe pas, allant puiser dans des rapports jugés moins clivants chez les populations autochtones. Il serait donc plus juste de parler tout simplement d’écosystème, dont l’humain fait partie, au même titre que d’autres espèces. Néanmoins, l’apport du concept est notable en science et son appropriation par la société commence à se faire - de l’art aux politiques publiques. La littérature en sciences de l’environnement et de la durabilité le mobilise largement, pour appeler à mettre œuvre une gouvernance des socio-écosystèmes et une gestion dite adaptative. La politiste Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie 2009) est régulièrement donnée comme la référence de cette école de pensée en lien avec la gouvernance des « communs » et une littérature prolifique existe en sciences de l’environnement, en lien avec les objectifs de durabilité, d’adaptation, de transformation et de résilience. 

Partant du constat de l'incapacité des sociétés à prendre en compte la nature complexe des systèmes SES et à résoudre le problème de leur évolution constante, les chercheurs en sciences de la durabilité plaident de plus en plus en faveur de la nécessité d'une transformation des systèmes de gestion et de gouvernance des SES. Ainsi, à travers les concepts de gestion adaptative ou de gouvernance adaptative, ils proposent de nouveaux schémas de gestion composés d'un ensemble de principes normatifs visant à transformer les régimes de gouvernance des SES.

Le système de gouvernance d'un SES peut être décrit comme le système d'acteurs, d'institutions et de normes impliqués dans les processus décisionnels influençant la gestion d'un SES. Ainsi, les systèmes de gouvernance, et la manière dont ils évoluent, influencent les trajectoires des SES. S'engager activement dans la gestion adaptative de ces SES vers la durabilité est donc un défi en termes de gouvernance.